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Tapisseries d'Aubusson réalisées sur le thème
"LES VISAGES OUBLIÉS"

(1983 / 1985)
Noémie (150x125)
Ce n'est pas un événement et cela n'a rien d'exceptionnel. C'est le quotidien le plus banal. Ces personnages ont nourri une enfance lointaine, plus douce à caresser. De simples personnes, elles sont cependant devenues personnages rescapés de l'oubli. Onze tapisseries ponctuent désormais cette réminiscence et cette mutation opérées par la mémoire de Michel Degand.
Ils ont su s'imposer à elle mais elle est parvenue à les domestiquer. Elle les a recréés en un paradis d'autant plus vrai et obsédant qu'il a été perdu... pour être retrouvé. C'est Proust qui s'annonce : "Le souvenir d'une certaine image n'est que le regret d'un certain instant...". Le temps garantit l'authenticité de l'œuvre par l'absence de documents extérieurs à ceux que fournissent les propres souvenirs de l'artiste. Images partielles et sélectives qui accèdent à l'essentiel.
Le quotidien prend du relief. Il est recréé. Il devient exceptionnel. C'est un événement plastique.
Au départ peut-être un égo-centrisme bénin qui engendre son alter. Les forces centripètes de la création deviennent centrifuges. Le cordon ombilical se rompt. L'oeuvre s'impose.
Autonome, elle n'est plus livrée à l'artiste, elle se livre à chacun. Car le langage elliptique de Michel Degand n'impose pas le singulier, il propose le pluriel. Ces effigies parlent en silence. Le temps est un mythe. L'œuvre provoque les souvenirs et se réactualise autant de fois qu'elle est vue.
Ses éléments plastiques métaphoriques sont d'une rare concision, du blanc du vide réflexif et de la naissance au noir de la mort en passant par les éclats de couleurs. Une vie dessinée en une iconographie apaisée pour ne pas être trahie par la parole. L'image est muette, le théâtre vit parce qu'il est silencieux.
Alain Réveillon
 
Le surveillant (125x170) Les Santerre (137x180)
   
Le Chinois (155x116) Tante Angèle (145x101)
   
"0 nuit ! 0 rafraîchissantes ténèbres ! Vous êtes pour moi le signal d'une fête intérieure, vous êtes la délivrance d'une angoisse ! Dans la solitude des plaines, dans les labyrinthes pierreux d'une capitale, scintillement des étoiles, explosion des lanternes, vous êtes le feu d'artifice de la Déesse Liberté...".

En découvrant l'œuvre de Michel Degand, on songe irrésistiblement à ce "florilège" de Baudelaire. Crépuscule doux et tendre, lueurs rosés qui traînent encore à l'horizon comme l'agonie du jour... Feux des candélabres. Lourdes draperies. Etoiles, rayons lumineux, espaces galactiques. Ténèbres et feu d'artifice. Une musique astrale qui jaillit de ces formes en mouvement dans un espace qui va au-delà des frontières de la laine...

Ce musicien, ce poète, ce cartonnier enfin, c'est Michel DEGAND. Il vient du Nord, de ce Nord qui fut jadis l'un des grands fiefs de la tapisserie. Lille en fut l'une des capitales, avec Arras, Tournai, Bruges, Gand, Bruxelles.

- "Pourquoi l'artisanat d'art ne pourrait-il survivre à l'âge du plastique ? dit-il. N'y a-t-il pas, de nos jours, plus que jamais, un besoin, une compréhension pour les objets qui portent l'empreinte de l'unique, l'empreinte de l'impétueuse fantaisie, de la débordante imagination ? Pourquoi ne retrouverions-nous pas le temps d'admirer les poèmes écrits à travers la matière d'une main inspirée et habile ?".

L'audace de cette tentative est née de l'alliance d'un esprit d'avant-garde avec le respect réappris des plus anciennes traditions du métier, celles qui assurèrent du XIIIe au XVe siècle, la réalisation des grands chefs-d'œuvre médiévaux.
L'art de tisser est une des activités culturelles de l'humanité des plus anciennes, une tradition transmise à travers les générations et dont l'emploi répondait à mille occasions, sous de multiples formes : de la bure grossière aux plus riches attributs en couleurs et en dessins des jours de fête. Dans le Nord, pays froid et nostalgique, la tradition ancienne du tissage a des racines profondes. Elle a permis d'exprimer au monde les notes les plus belles et les plus délicates de l'art populaire.

Aujourd'hui, la tapisserie ouvre des horizons nouveaux. A travers le bouleversement survenu dans l'ameublement et l'architecture, elle aide l'homme à réaliser ce besoin d'évasion qui vit tout au fond de lui-même.

- "Sur le mur, a dit M. Michel Faré, ancien conservateur du Musée des Arts Décoratifs de Paris, la tapisserie découvre le sens caché de la réalité. Elle est texture, donc texte et sur elle, s'inscrivent les termes du langage pour définir à la fois le monde visible et l'univers obscur. Par ses dimensions, elle organise l'espace et par la chaleur qu'elle concède, elle s'associe toute fidèle à notre vie. Elle est devenue d'une utilité supérieure, elle harmonise en les tissant, les découvertes de l'esprit".

Accordée à l'évolution sociale et technique de notre temps, la tapisserie représente un langage inédit de formes et de couleurs. C'est dans ce creuset tout neuf, exaltant, que Michel Degand travaille.

Le mètre carré permet de larges décors: l'imagination s'y sent libre. Et la liberté est le pays où Michel Degand se trouve le plus à l'aise. L'art pour lui, n'est pas le cantique qui se répète, de génération en génération. Mais le buisson ardent et généreux d'où fusent les idées neuves et hardies.

L'art, c'est le nouveau monde... à conquérir, à explorer, à révéler aux autres, sur le mur et par le mur.

Il aime plus que tout la matière, le toucher, cette "chair de poule", cette chaleur au contact de la main.

La tapisserie est faite pour chauffer, pour faire chanter le mur, lui donner une douceur, une transparence, une lumière. La laine est si chère au jeune artiste nordiste, que pour elle, il bannit l'anecdote, le détail, la surcharge. Il la veut belle, à travers les jeux de la matière et de l'imagination qui se fondent en un mur vivant.

- "La tapisserie à notre époque, dit-il, fait partie de la vie. Elle est liée à l'architecture, tout comme au Moyen-Age triomphait l'union de la pierre et de la laine. Elle porte témoignage de l'art, là où elle se trouve, qu'il s'agisse d'une maison, d'un bureau, d'une usine ou d'un château...".

C'est pourquoi les réalisations de Michel Degand sont multiples et s'intègrent à la vie. Sa plus grande tapisserie (23 mètres carrés) intitulée "d'étoiles dans les soirs tremblants" (d'après un vers d'Apollinaire) a été choisie pour faire chanter les murs de la sixième Chambre du Palais de Justice de Lille. D'autres tapisseries se trouvent dans de grands hôtels de l'Est et des Alpes. La haute décoration murale a toujours passionné Michel Degand qui, après des études aux Beaux-Arts de Lille, effectua un stage à "La Grande Chaumière" à Paris. Un séjour à Aubusson lui permit de matérialiser son rêve: sa première œuvre tissée. Depuis, une trentaine de tapisseries y ont été réalisées. Il figura dans de nombreuses expositions, aux côtés des plus grands maîtres cartonniers actuels.

Pour ses tapisseries, il a choisi des noms tissés de rêve et de poésie: "Sortilège" ; "Eclosions" ; "Métamorphoses" ; "Bucolique" ; "Clair Matin" ; "Gerbe au Soleil"...

Mais d'autres créations témoignent de sa quête d'infini et de lumière : "Uranie" ; "Aura" ; "Alba" ; "Météores" ; "Ciel et Cendre" ; "Crépuscule" ; "Nocturne" ; "Lumirama"...

Tout au long de sa marche, dans un monde qu'il explore depuis plus de douze ans, Michel Degand n'oublie pas que la tapisserie est un "métier", une technique autant qu'un art. Il n'exécute que le plan, le carton, la partition.

Le licier fera le reste, tel le chef d'orchestre, fidèle à l'œuvre du compositeur.

La tapisserie n'est-elle pas ce miracle vivant qui retient par les fils du réel, l'impalpable trame du rêve ?
Perrine Perrin
Le conteur d'histoires (126x214)
 
"La tapisserie, c’est un rêve que l’on accroche au mur."

L'artiste le plus sincère est un faiseur de mensonges qui court après la vérité. Sa vérité. Art et poésie : vérité conquise sur la fiction. Bref : l'œuvre d'art ne cesse de tromper pour dire vrai.

Si le vrai est l'endroit, c'est l'envers qui vend la mèche. L'œuvre présente au spectateur son endroit avec tant d'insistance (de hâte !) que presque personne ne songe jamais à son envers. Retournez une toile : qu'y a-t-il derrière ? Rien. Du tissu rugueux et effrangé, du bois, des clous, de la poussière. Les statues de bronze sont creuses. Tout cela n'est que du théâtre. Le décor est tourné vers la salle, vers la "galerie " (c'est le cas de le dire !).

Mais quoi ! Au fauteuil d'orchestre, qui songe aux coulisses ? La beauté inclut tout son être dans le paraître. Elle n'existe qu'à l'état de paroxysme ou n'existe pas (souvenons-nous : "convulsive" !). L'exploit fait oublier l'entraînement. Cet obscur, difficile et lent concours de forces opposées, ce combat de l'esprit, de la main et de la matière pour une seule issue, sa gloire est dans sa précarité. Menacée, relative, fondée sur un improbable miracle, songe-t-on assez à quel point l'œuvre, à chaque instant, le demeure ? Et qu'il suffirait d'un infime déréglage dans les gammes d'ondes lumineuses pour que Chartres s'éteigne, pour que Cézanne ait usé sa vie à doser des boues grisâtres ? Nous nous entretenons dans nos brillantes illusions d'aveugles en sursis au sein de ces orages d'électrons où s'évanouit toute "réalité", depuis que les physiciens nous ont fait renoncer, preuves à l'appui, à parler d'elle autrement que comme d'une convention de langage.

Tout de même, le jeu continue : le spectre tient bon, le soleil brille, nous voyons ce que nous croyons voir, l'œuvre oriente vers nous sa face toujours visible, et nous pose par énigmes ses propres questions. La toile les siennes, la sculpture les siennes, la gravure les siennes. La tapisserie les siennes.

La tapisserie, ce tissu aristocrate, qui ne saurait vêtir personne (au mur seul l'apanage de la porter), qui tire tout son pouvoir de l'entrecroisement de ses fils de chaîne et de ses fils de trame, n'est-elle pas le plus perfide en même temps que le plus beau des mensonges ? (Ne dit-on pas : tisser les fils d'une intrigue, ourdir une machinanation ?). N'est-ce pas elle qui a, par excellence, un envers et un endroit ? L'envers, toujours tourné vers la muraille, et qu'on n'examine, avec curiosité, que pour voir "comment c'est fait". Eh bien justement, c'est fait à l'envers. Le licier travaille à l'envers, et ne rejoint la pensée de l'artiste, auteur du carton, que grâce à ses dons, à sa maîtrise de traducteur.

Cet envers contient et crée perpétuellement l'endroit. Son tohu-bohu de laine emmêlée (qui a sa beauté) gouverne l'impeccable nappe comme les os, tendons et nerfs font la main. Ce débraillé - apparent - et cette rigueur sont la même chose. L'œuvre - Janus est une. Sur la production de cette œuvre si singulière, par la collaboration du cartonnier et du licier, on a tout dit depuis longtemps, comme on a tout dit sur la fameuse "Renaissance" de la tapisserie. Inutile, donc, d'y revenir ici. L'artiste qui s'est reconnu vocation pour cette forme d'expression fait preuve à la fois d'ambition et de modestie, de confiance et de sagesse. Il ne travaille pas dans l'orgueil - ou le désespoir - de la solitude, il est solidaire de toute une entreprise, il œuvre pour la cité. Ce qu'il conçoit a sa place prévue dans la communauté, ce n'est pas cet objet aventureux et unique, promis à la spéculation, et qu'elle a le pouvoir de rejeter au néant ou de hausser à de vertigineux sommets.

Jean Lurçat (il faut bien en venir à lui) était très pointilleux sur ce sujet. Il m'écrivait en 1958, à la suite d'un article où j'avais quelque peu surévalué les prix de revient :

"Non seulement la tapisserie n'est pas art de luxe, mais bien au contraire, art infiniment plus à la portée des bourses moyennes que la peinture de chevalet ou à fresque. Et si vu l'amplitude nécessaire des murs (pour une grande pièce), les vastes tentures murales ne sont accessibles qu'aux grandes administrations ou institutions, une pièce de surface modeste se trouve être très notablement moins coûteuse que telle peinture à l'huile, de dimensions dix fois moindres, de tel ou tel de nous, peintres de chevalet et d'un âge quelque peu certain". Et Lurçat ajoutait :

"Si, ayant débuté en 1913, peintre fresquiste, j'ai pu après une interruption de quelque vingt années, reprendre le fil d'une carrière rompue du fait de la guerre 1914-18, c'est que je m'étais rendu compte que cet art mural qu'est la tapisserie était financièrement possible. J'insiste sur le mot "financièrement", car il eût été vain de proposer aux architectes un mode de décoration murale qui eût été, sur le plan des crédits, une gageure. Les résultats ont couronné l'attente...".

Ils l'ont couronnée, dépassée même, et de loin. La tapisserie (grâce à Lurçat, au premier chef) est rentrée dans nos mœurs. Les architectes l'accueillent désormais, lui font belle place. Une aventure comme celle des trois cents mètres carrés de tentures tissés pour le nouveau Palais de Justice de Lille n'aurait pas été imaginable voici peu de temps encore.

Ce succès même n'est pas sans dangers. Comme il accroît la demande, on voit solliciter des artistes, souvent de grand renom, qui ne craignent pas de donner des cartons hâtifs, sinon des esquisses ou en tout cas de simples peintures, sans grand souci de leur transposition en laine. Et l'on perçoit de nouveau, çà et là, cette imitation d'une technique par une autre (oh, très habile, certes!) contre laquelle il avait justement fallu tant lutter. L'imitation des jus, coulures, empâtements et des divers bonheurs immédiats de la matière -de la matière-peinture- y a tout bonnement remplacé celle des glacis, dégradés et autres finesses d'antan.
Jean Guichard-Meili
Le marchand de craies (152x114) La voisine (150x118)
   
Le garde barrière (150x128) Léontine (152x114)
   
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